ROMANS

Les fichiers sont en .pdf et s'ouvrent avec Adobe Acrobat Reader. Si vous ne le possédez pas vous pouvez le télécharger ici:

Pour un meilleur affichage des fichiers .pdf avec le navigateur Firefox: désactivez le lecteur intégré. Mozilla Support

ROMAN N°01 : "L'école dont l'instit est un cancre"

Interview lors de la sortie du second tome:

 

Ed.Praelego-2ème volume

ROMAN N°02 : "le Lézard dans le buffet"(Extrait)

 

 

ROMAN N°3 : "Lucile Galatte ou le temps des gauloises bleues"

Amazon - La Fnac -

ROMAN N°04 : "Le bal des pourris"....


ROMAN N°05 : La Lieutenant au jupon rouge

ROMAN N°06 : Popaul, l'enfant qui voulait aller au ciel retrouver sa mère.

 

Le Pythagore éditions www.lepythagore.com

ROMAN N°07 :Sacré Popaul !

Le Pythagore éditions
www.lepythagore.com

ROMAN N° 08 :Popaulissime !

Le Pythagore éditions
www.lepythagore.com

ROMAN N° 09 Signé Popaul

Le Pythagore éditions
http://www.lepythagore.com

ROMAN N° 10 La carte à jouer

À paraître

ROMAN N° 11 La chair salée a disparu

https://liralest.fr

ROMAN N° 12 Riton le facteur et son chien Marcel...en tournée.



www.lepythagore.com

ROMAN N° 13 L'or de la Barse

https://liralest.fr

ROMAN N° 14 Popaul: scout toujours prêt!

http://www.lepythagore.com

ROMAN N° 15: Dis maître...Est-ce que tu veux bien être mon père?"

En attente de publication

 

ROMAN N° 16 .Et mon coeur de battre comme un joli p'tit tambour

http://www.lepythagore.com

ROMAN N° 17 : Un amour de Popaul En attente de publication
ROMAN n° 18:: Marie des Varennes En attente de publication
ROMAN n° 19:: Le maître d'école et la fille du vent En attente de publication
ROMAN n° 20:: Popaul et le p'tit vendeuvrois. En attente de publication
ROMAN n° 21:: Un petit soulier rouge dans la neige blanche

http://liralest.fr/

ROMAN n° 22:: Qui en veut au coq du clocher? Non proposé à l'édition
ROMAN n° 23:: Le temps des loups  
ROMAN n° 24:: J'ai l'honneur de vous dire... que vous n'êtes pas invités à mes funérailles  
ROMAN n° 25:: Laurine

https://www.atramenta.net/

Livre et Ebook

ROMAN n° 26:: L'itinéraire d'un crétin  
ROMAN n° 27:: Les becs brûlants  

 

– LE CHALLENGE: PUBLICATION CHAQUE MOIS DE NOUVEAUX CHAPITRES ECRITS AU JOUR LE JOUR –

Le code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation
collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que
ce soit, sans le consentement de l'auteur ou des ayants cause, constitue une contrefaçon sanctionnée
par les articles L. 335-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle.

 

LES BECS BRÛLANTS

ou

LES UREBECS

Christian Moriat

 

 

 


CHAPITRE 7

L'annonce de Monseigneur l’évêque

 


Comme l'anarchie règne au village, Monseigneur Legendre, qui en est informé, de s'émouvoir de cette fâcheuse situation. Aussi, afin de bien saisir ce qui se passe encore dans le Varègeois, a-t-il convoqué le curé Fléchelle, afin qu'il lui fasse un rapport circonstancié, sur un sujet qui le préoccupe au plus haut point. D’autant plus qu'il craint pour une dîme que les contribuables vont bien avoir du mal à acquitter cette année. Au train où vont les événements.
Ce dernier de ne pas se faire prier. Allant jusqu'à relater l'échec de l’exorcisme par lui prononcé, sur les lieux mêmes où les esprits maléfiques donnent libre cours à leur extravagance.

Après s'être fait expliquer le déroulement de la cérémonie, avec l'énumération des divers cantiques qui avaient été chantés, des différentes prières qui avaient été récitées et des diverses paroles prononcées par le prêtre, le haut dignitaire ne trouvant rien à redire sur la qualité de l' intervention, de se montrer dubitatif quant à la réponse à apporter, tant son subordonné, semble, avoir fait preuve de maîtrise et de savoir-faire. En d'autres termes, peut-on faire davantage que ce qui a été fait ? Puisque tout a été accompli selon les règles propres à cette si particulière pratique ? Visiblement, et pour une raison qui, à tout un chacun échappe, le Tout-Puissant, actuellement, a détourné son regard de ce petit village de Champagne. Et, de facto, n'en assure plus la protection. Au grand dam de la gent vigneronne.

- Monseigneur, je ne comprends pas, se plaint le doyen. Peu après mes adjurations, si les eumolpes ont bel et bien quitté l'endroit, quinze journées plus tard, ceux-ci reviennent et redoublent de violence. C'est comme s'ils cherchaient à se venger, de ce que mon intervention leur a fait subir. Même que celle-ci n'a fait que renforcer leur pouvoir de destruction.
- Monsieur le curé, lui répond son supérieur, il ne faut pas sous-estimer les forces du mal. Nul doute que vous leur avez porté un coup. Seulement, celui-ci n'a pas suffit. À l'image du boxeur qui s'écroule, momentanément assommé, puis qui se relève quelques instants plus tard, avec des forces neuves... Vous avez à faire à forte partie. Et, si je puis me permettre, peut-être auriez-vous dû récidiver ? Pensez à Pénélope, la fidèle, tissant le jour, et vingt années durant, le linceul destiné à envelopper le corps de Laërte, son beau-père, quand il viendrait à mourir, et la nuit, défaisant son ouvrage, dans l'attente du retour fort improbable d'Ulysse, son époux bien aimé, parti à la guerre, afin de tromper les avances de ses prétendants, qui lui avaient malignement annoncé sa mort et qui la pressaient de les épouser : « Cent fois sur le métier, il convient de remettre son ouvrage. » Elle a eu raison d'y croire. Car elle avait la foi. Or, la foi est capable d'abattre des montagnes.

- J'y ai bien songé, reconnaît-il. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé aux vigneux de récidiver. Toutefois, ils me l'ont déconseillé, prétextant qu'il était trop tard, vu que leurs vignes sont pratiquement détruites. En outre, je dois avouer qu'entreprendre une nouvelle tentative serait au-dessus de mes forces. Tant j'y ai mis de force et de conviction pour accomplir cet acte. Vous n'êtes pas sans ignorer que le recours à l'exorcisme, lorsque celui-ci est bien pratiqué, épuise celui qui le prononce. Tel a été mon cas. Puisque, j'avais été remué à un point tel, que de fortes fièvres en avaient résulté. Même que, conséquemment, j'avais dû m'aliter.

Le prélat de lui rappeler que, d'autres, bien avant lui, ont dû lutter contre les nuisibles. Et qu'il convient de faire preuve de vaillance et d'énergie dans ce terrible combat livré contre le mal.
En 1120, notamment, dans le diocèse de Laon, l'évêque Barthélemy n'avait-il pas été dans l'obligation d'excommunier mulots et chenilles, qui avaient dévasté les champs, après les avoir déclaré maudits ? N'avait-il pas non plus renouvelé l'anathème à l'encontre de mouches par Satan envoyées ?
Enfin, le grand Saint Bernard en personne, le moine cistercien de la « Claire Vallée », fils de Tescelin Saurel, chevalier du duc de Bourgogne et de dame Aleth de Montbard, n'avait-il pas eu maille à partir avec elles, quelques années plus tard ?
- Souvenez-vous de 1124, enchaîne-t-il, pour lui rafraîchir la mémoire... Lors qu'il devait se rendre à l' abbaye de Foigny, nouvellement construite, voilà qu'une invasion de mouches avaient fait irruption dans l'église, la veille de la consécration. Or, y menant grand tapage de par leur assourdissant bourdonnement, celui-ci, craignant pour le bon déroulement de la cérémonie, les excommunia purement et simplement. Ce fut radical. Le lendemain, d'aucuns furent bien étonnés de voir les insectes joncher le sol. Raides morts... Il n'y avait plus qu'à faire balayer les dalles par les clercs. Comme quoi, avant vous, il y a eu des précédents et la chasse aux démons peut, en cas de renouvellement, connaître d'excellents résultats. Néanmoins, je n'aurais pas dû vous autoriser à un rituel qui requiert beaucoup d'expérience. N'y voyez aucune offense. Je pense, toutefois, que vous n'aviez pas assez de pratique.
- Je ne suis pas Bernard de Fontaine, notre bien vénéré moine bourguignon, répond-il tout contrit.
- Sans doute. Mais, avant le miracle du moine du Val d'Absinthe, je tiens également à vous rappeler que Yahvé, d'après le Livre de l'Exode, avait infligé dix plaies, à l’Égypte, afin de punir Pharaon, qui retenait les Hébreux en esclavage. Dont des invasions de grenouilles, de moustiques, de mouches, de poux et autres sauterelles. Autrement dit, vos Varègeois ne sont pas les seuls à être incommodés par de sataniques bestioles.
- Entendriez-vous par là, Monseigneur, que Dieu ayant été au fait de quelconque méfait commis par ma communauté, et inconnus de moi, aurait voulu la châtier ?
- Pourquoi pas ? Vous devriez le savoir, vous qui êtes leur objecteur de conscience.

Le doyen de reconnaître qu' il y en a bien qui ont avoué quelque travers, sous couvert de la confession. Mais ses paroissiens ne sont pas plus pécheurs qu'ailleurs.
- Monsieur le curé, votre chauvinisme excessif vous égare ! Gardez-vous de vos certitudes. Peut-être ne vous disent-ils pas tout, laisse encore entendre le prélat.
Ce qui a le don de piquer notre curé. Et de le culpabiliser. N'aurait-il pas fait preuve de trop d’indulgence ? Monseigneur, le jugerait-il trop mou ? Ses ouailles ne le prendraient-il plus au sérieux ? Il est vrai qu'il n'est plus tout jeune. Et que la routine, peut-être, l'aura ramolli ?
Quoi qu'il en soit, il se promet que, dorénavant, il sera plus attentif quant au choix des pénitences infligées à ses ouailles. Néanmoins, force pour lui est d'admettre que l'exorcisme a été marqué du sceau de l'échec. Et il s' en veut d'avoir failli.
Puis, il prend conscience qu'il est peut-être plus facile pour ses paroissiens - sous réserve de bonne et sincère repentance de leur part -, de se préserver de la colère du Très-Haut, s'ils veulent vaincre la perversité des puissances sataniques. Aussi, se promet-il d'être plus vigilant à l'avenir. Et de repenser le « tarif » des pénitences. Lesquelles ne sont pas assez sévères, si on les compare à celles qu'infligent ses collègues. En d'autres termes, le curé Fléchelle se sent trop magnanime.
Malgré tout, sur le sujet, Monseigneur Legendre de le mettre en garde contre une réflexion qui mettrait en doute la puissance du Seigneur face à l'attitude ô combien néfaste du prince des démons. Le premier ne voulant que le bien de l'homme, sa créature. Or, si celle-ci a fauté, sa faute lui sera pardonnée, contre sincère repentance, indépendamment de la valeur de la pénitence par le confesseur infligé; que celle-ci soit ou non d'importance. Car, et toujours selon lui, seule importe l'honnêteté en attitude et en paroles. Or, il n'y en a qu'une qui compte. C'est la prière.

- On m'a rapporté aussi, ajoute l'évêque, que des vols entre vignerons ont été commis. Est-ce vrai ?
- Très peu, minimise le doyen, particulièrement étonné qu'il soit au courant.
Aussi s'empresse-t-il de répondre à l'allégation, en affirmant que le « voleur », en l’occurrence le dénommé Armand Lécuyer, après remontrance de sa part, puisque c'est de lui qu'il s'agit, a fait amende honorable, puis, faisant preuve de remords, de lui-même, il a restitué les biens dérobés à son voisin, le sieur Sautriot. Comme quoi, tout est rentré dans l'ordre.
- Faites preuve de prudence, avertit son supérieur. Que cela n'aille pas plus loin.
Malgré tout, devant l'ampleur, l'urgence et la gravité de la catastrophe qui frappe Varèges, ce dernier de décider de porter l'affaire des becs brûlants, cause de malignité et d'insécurité, devant les tribunaux.

Ce qu'il va faire, sans plus tarder, déclare un colporteur pris de chaleur ; lequel vient de retirer sa houppelande.

 

CHAPITRE 8

 

 

Trois douloureux cas


C'est sur le mail des Charmilles à Troyes, sur une estrade dressée en plein air, comme il est procédé en pareil cas, que va s' ouvrir le procès des urebecs, à l'ombre des arbres de justice.
Nous sommes au mois de juin, au matin. Il fait déjà chaud. Et le tout vigneron vérègeois est présent qui, ce jourd'hui, ne se rendra point aux vignes, curieux qu'il est de suivre les débats de la docte « assemblée ecclésiastico-judiciaire. »
Car, ce jour est spécial, puisqu'il est consacré à diverses procédures, dont les accusés sont des animaux. Sous prétexte que tout être vivant ayant une âme, celui-ci a pour principe moral d'obéir au droit et d'y répondre, en cas de grave manquement. En vertu du Livre de L'Exode, selon lequel il est écrit : « Si un bœuf encorne un homme ou une femme et cause sa mort, le bœuf sera lapidé ». (Ex 21.28) Même qu'il a été explicitement précisé que « l'on n'en mangera point la viande, mais que le propriétaire du bœuf sera acquitté »
Toutefois, au grand dam des vilains de Varèges, venus tout exprès, on leur apprend qu'avant de traiter l'affaire des « becs brûlants », ceux-ci doivent s'armer de patience, car les juges, en effet, ont le devoir de préalablement statuer sur trois cas particulièrement douloureux. Il s'agit de trois animaux - l'ânesse de Vaudes, le mainate du sieur Méralonio bateleur de foire du Trentin-Haut- Adige, et la truie de Troyes -, lesquels ont commis des actes d'une exceptionnelle gravité.

C'est d'abord le tour de l'ânesse...
Après que l'Official de Troyes eût instruit l'affaire de l'aliboron de Vaudes, la bête en question est priée de comparaître devant le tribunal. Jehan Le Moëlle, magistrat licencié en loi et désigné par Monseigneur l'Évêque, pour y exercer les fonctions de juge, la fait mander. Celle-ci, extraite manu militari du cachot dans lequel elle avait été encellulée, de se présenter de mauvaise grâce, après force ruades, grognements et tapages à l'égard de ceux qui la poussent, la tirent et la traînent contre son gré. Ce qui ne manque pas de faire mauvais effet sur Ghislain Gerbois, le curateur et Arnaud Couturier, avocat, tous deux désignés, après avoir prêté serment en vue de présenter la défense de l'ânesse, « avec zèle et probité ».

Les débats sont contradictoires. D'un côté, il y a les époux Tourneux Ghislain et Dutertre Margaux, femme Tourneux, tous deux propriétaires du bestiau, et paysans à Vaudes. De l'autre, la plaignante, une pucelle répondant au nom d'Isabelle de Taingry, fille du comte Arnaud de Taingry et de sa vénérable épouse la comtesse, née Blanche de Bellœuvre, honorablement connus dans la communauté vaudoise, qui réclament réparation pour l'agression dont a été victime leur fille, « vilainement mordue », par le « déplaisant animal ». Lui laissant au bras droit, une marque indélébile.

Comme le forfait a été accompli sans témoin oculaire, à part ses parents qui, présentement se trouvaient sur les lieux. Il s'agissait en effet d' un pré à l'écart d'une route, en bordure d'un chemin de terre désert. Aussi est-il mandé à la jeune damoiselle de faire la preuve de sa bonne foi en montrant son bras - ce dont elle s'acquitte en relevant fort pudiquement la manche d'un corsage, sous sa robe dissimulé - où l'on perçoit encore nettement la trace des dents laissées par le machiavélique beutiau.
Elle explique, qu'ayant voulu offrir du pain à l'ânesse, dont la tête dépassait de la clôture d'un pâtis, cette dernière, telle une meurt-de-faim, de lui attraper le membre supérieur droit en même temps que le pain, pour la mordre jusqu'au sang. Peu désireuse de la lâcher, c'est le père de la jeune fille qui, armé d'un bâton l'en délivra. L'équidé, abondamment frappé, consentant à enfin céder, puis à s'enfuir, en faisant trois fois le tour de l'enclos en brayant comme une possédée, tout en exerçant fort peu courtoisement plusieurs levées des ses membres postérieurs, de manière à montrer fort inélégamment son arrière-train afin de montrer son mépris. Quant à la malheureuse victime, qui n'avait plus que ses larmes pour pleurer, c'est le docteur Jehan Depoix à cet effet consulté, qui lui apporta les premiers soins. Lequel, bien entendu de venir à la barre, confirmer la blessure.

La défense, après avoir plaidé l'espièglerie de la bête et son manque d'éducation, en raison de son jeune âge - deux ans -, ainsi que les rages de dents, dont elle est coutumière, selon les époux Tourneux, puis, celle de la solitude - la pauvresse étant seule dans son pré, sans mâle pour lui tenir compagnie -, en est pour ses frais, puisque, après de rapides débats, elle est condamnée à être édentée par l'exécuteur des hautes œuvres, venu tout exprès de la ville de Paris. Et à passer le restant de ses jours solidement attachée avec une corde de moins d'une toise et demie de long, de façon à ce que la faiblesse de l'allonge ne l'autorise plus à renouveler son acte mauvais. Quant à ses propriétaires, ils sont condamnés à verser une lourde amende à régler à la plaignante d'une part, et à l’évêché d'autre part. Et ce, dans les plus brefs délais. Puis d'acquérir un compagnon dans le mois qui suit, afin de mettre un terme à sa solitude.
Côté défenseurs de l'équidé, on se montre satisfait de la sentence, car ils ont fait éviter à celui-ci l'encourt de la peine capitale, contrairement à la famille du Comte, qui repart dans ses terres, fortement mécontente, pour cause de frustration.
- Affaire suivante ! s'écrie le greffier.

Celle-ci est beaucoup plus sérieuse. Il est en effet question d'une truie mangeuse d'enfants, en la ville de Troyes.
Voici le résumé des faits :
Il était quinze heures trente environ, lors que, Émile Bécart et dame Berthe, fille Chanterau, délaissèrent momentanément leur logis, afin d'assister aux vêpres, en l'église Saint Nicolas. Tout près. C'était sans compter qu' « une truie au groin plus noir que suie » eut la malencontreuse idée de s' échapper de la ruelle des Chats, où elle exerçait son louable métier d'éboueuse. Laquelle se rendit tout de go au domicile des époux Bécart, rue de La Pierre, dont la fenêtre basse était entrouverte et sous laquelle se tenait un berceau, où dormait paisiblement l'enfant Bécart Jeanne, placée sous la surveillance de Pierrette, sa sœur aînée, âgée de neuf ans. Or, la fillette ayant été étourdiment appelée chez une petite voisine, pour jouer à la « cabane de couvertures », elle commit l'irréparable, en laissant sa cadette toute seule. Le dit pourceau, qui n'attendait que cela en profita pour s'introduire clandestinement au logis des époux Bécart pour défigurer et « manger gloutonnement » le visage et la gorge de la petite endormie. Celle-ci, tout naturellement, de se mettre à crier de douleur. Aussitôt alertée, en vain, Jeanne de se précipiter. Las ! Il était trop tard. La bête venait d' accomplir son horrible forfait. Laquelle - ce qui traduit la preuve de sa scélératesse -, fort peu encline à accepter d' endosser son crime, de commettre la bassesse de s'enfuir, en prenant le même chemin, poursuivie par l'aînée et par une foule de gens mis rapidement au courant de par les cris de la jeune pucelle. Lesquels, après avoir longuement couru pour la rattraper, finirent par la coincer rue des Mauvaises-paroles, où elle s'était réfugiée derrière une porte-cochère. Pour être immédiatement arrêtée, puis sur le champ incarcérée par deux arquebusiers, aussitôt alertés.
Inutile de préciser que la bête avait pour le moins le diable au corps.
C'est cette horrible créature qu'on entend grogner, en ce moment, poussée et tiraillée qu'elle est - à l'image de l'ânesse de Vaudes -, par les aides du bourreau. Lesquels ont fort à faire avec elle. Vu qu'elle freine des quatre fers, pour ne pas publiquement comparaître, tant la honte de lui monter au visage. Mais, comme l'animal est rose, cela ne se voit point.
- Faites-moi taire cette truie, s'énerve le juge. On ne s'entend plus.
Aussi et au risque de se faire mordre, lui glisse-t-on derechef, une solide muselière de cuir. Ce qui n'empêche guère les vives récriminations de la criminelle. Laquelle de bruyamment bougonner dans sa barbe.

Après avoir rapidement relaté les faits, écouté des avocats qui font montre d'impuissance quant à lui trouver d'atténuantes circonstances, tant l'infraction est monstrueuse et tant la bête se montre si peu coopérative, la séance est écourtée en raison du tapage par elle mené, et à cause de la
chaleur qui transforme la capitale de la Champagne en une véritable fournaise.
Aussi prompte à tomber, est la sentence :
- Levez-vous commande le juge à l'assemblée.
Chacun de s'exécuter...

- Étant donnés les faits effroyables pour lesquels tu t'es rendue coupable, et compte-tenu que les animaux, comme tous les êtres vivants, possèdent une âme, et qu'ils sont donc responsables de leurs actes, prend-il soin de rappeler, nous te condamnons à être pendue et étranglée jusqu'à ce que mort s'ensuive, par le maître des hautes œuvres, « en une fourche de bois joignant des fourches patibulaires », en lieu et place du Marché au blé. Jusqu'à ce que corbeaux et corneilles s'en repaissent. De manière à servir d'exemple. Qu'on emmène la bête !
Et le dit beutiau, de force, d'être emmené. Sans toutefois prendre conscience du sort qui l'attend. Occupé qu'il est à tenter d'arracher sa muselière, à l'aide de ses sabots et onglons.
- Affaire suivante !

Après un temps d'attente relativement long, on voit enfin apparaître un couple - un homme démesurément petit botté et chapeauté par rapport à une femme plutôt grande au crâne « foulardisé » -, en train de se chamailler. Il fait tant de bruit que le juge est obligé de crier plus fort que lui pour réclamer le silence. Le premier porte un mainate attaché par une chaînette autour de son poignet. La seconde, une gibecière et un bâton de marche. Laquelle venant de se découvrir malgré la chaleur, par respect pour les autorités qui composent le tribunal.
Une fois le calme revenu, le principal magistrat d'expliquer les tenants et aboutissants de l'inculpation :
- Ont été appelé à comparaître d'une part Méralonio Giuseppe, bateleur de foire de son état, et originaire du Trentin, nommé l'accusé, et Bréchut Jacquette, le témoin, faisant profession de blanchisseuse en nore bonne ville de Troyes.
Femme Bréchut, à toi la parole !
- Hé bien, voilà messire juge... Un jour où je lavais mon linge au lavoir du château, j'ai vu passer Méralonio, ce galapiau, avec sa femme, une abominable drôlesse. L'homme portait son mainate sur l'épaule - cet animal du diable. Et celui-ci, dès qu'il m'aperçut, de brailler à tous les échos : « À bas le roy! À bas le roy ! » Le tout sur le ton de la moquerie.
L'assemblée, aussitôt, de laisser échapper un « Oh! », à la fois de surprise et d'indignation. Tant est que des mainates-parleurs, personne, à ce jour, n'en a jusqu'à ce jour rencontrés. Ce qui, cependant ne les empêche pas de rire sous cape. Vu que si on dit que la vérité sort de la bouche des enfants, celle-ci, pour une fois, serait sortie du bec d'un oiseau ? On demande à voir. Ou plutôt à entendre. Tant cette allégation relève du miracle. Pour ne pas dire « de la sorcellerie ». Mais, pour l’heure, le volatile de se la jouer « motus et bec cousu ».
Quant au Trentin, et à la Trentine, ceux-ci de vivement protester :
- C'est faux! En plous comment qu'él aurait pou entendre mon noiseau ? Té ! Vou qu'elle est sourde.
- Le noiseau est correct. Si. Confirme la femme.
(Rire plus franc de la foule.)
Celle-ci se sentant piquée de coller un magistral aller et retour au malheureux Giuseppe, qui regardait ailleurs. À un point tel qu'il en a tout le chef ébranlé. Tant dame Bréchut a les mains taillées comme battoirs. Et les bras potelés comme tonneaux à vin.
Or, ce dernier, après avoir recouvré ses esprits, de se préparer à la réplique. Mais, et fort heureusement pour la plaignante, il en est rapidement empêché par deux gens d'armes qui parviennent à le ceinturer avec difficulté, tant l'outrance qui le révolte, le rend nerveux. Ce qui n'empêche pas son épouse, dame Méralonio Cornelia - le temps n'étant plus à la querelle, d'avec son cher et tendre -, de s'en prendre de manière vindicative au chignon de la femme Bréchut qui, ne s'attendant point à une telle riposte, de répliquer des mains, de la langue et des pieds. Au grand dam d' une bête qui, terrorisée par le tragique de la situation, de se mettre tout de go à battre des ailes, puis à hurler : « À bas le roy! À bas le roy ! »
Ce qui, une fois surprend grandement la foule, qui, comme précédemment précisé, était loin d'imaginer qu'un oiseau puisse avoir l'usage de la parole. Le tout avec l'accent en usage dans la communauté passeriforme du Trentin-Haut-Adige. Nul doute que l'animal, noir comme le péché, est ensorcelé. « Qui parle ainsi ? » se demande la multitude. Sinon le diable en personne, qui a emprunté la voix du volatile. Le pouvoir de Satan étant sans limite aucune, qu'il est capable de prendre tous les dialectes du monde entier, ainsi que tous les accents.
- Voyez bien, répète la blanchisseuse. J'avais raison, qu'elle fait en se retournant, pour prendre la foule à témoin.
- La preuve en est faite, dit le juge. Point ne sera fait appel à la défense tant démonstration est probante de la culpabilité des accusés - les bateleurs de foire d'une part et le sinistre animal d'autre part.
Puis, après un rapide conciliabule avec les confrères qui siègent à ses côtés, le haut magistrat de décider ce qui suit :
- L'oiseau, ci-nommé Gracula religiosa, ayant langue bien pendue, il la lui sera coupée par l'exécuteur. Quant à - Méralonio Giuseppe et son épouse, ils sont tous deux condamnés à un mois d'encellulement, pour avoir fait apprendre des obscénités à un pauvre innocent qui n'a pas même conscience de qu'il dit.
Hélas, pour nos forains, ceux-ci ont beau se démener, vitupérer, tempêter, qu'ils sont pris sous les aisselles de gaillarde manière, pour être derechef emmenés par les gardes; lesquels les conduisent en des lieux où ils auront tout loisir de se repentir. Quant au « beutiau », il est rapidement évacué par l'un des sergents ; lequel vient d' empoigner la chaîne qui le tenait attaché au poignet de son maître, pour l'encager de forte manière.

Puis, après s'être essuyé le front tant il fait chaud, le juge de décider d'instituer une pause.
- La séance est suspendue, clame le greffier, comme en écho. Celle-ci reprendra à quinze heures avec Monseigneur Legendre en personne. Lequel tient à honorer le tribunal de sa présence.

Voilà comment, à cette époque-là, on ne se contentait pas seulement de juger les hommes. Mais, tout insecte et tout animal, devait également répondre de ses actes devant la justice. C'est ce que le colporteur conclut en se levant de sa chaise, tant il a de fourmis dans les jambes. Mais personne, pour l'heure, n'a autorité sur elles pour les inculper. Ce que le législateur n'a pas encore prévu.


À SUIVRE

Haut de la page

Biographie
Théâtre
Sketches
Contes
Poésie
Réflexions
Romans
Accueil