ROMANS

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ROMAN N°01 : "L'école dont l'instit est un cancre"

Interview lors de la sortie du second tome:

Épuisé
 

Ed.Praelego-2ème volume

ROMAN N°02 : "le Lézard dans le buffet"(Extrait)

 

 

ROMAN N°3 : "Lucile Galatte ou le temps des gauloises bleues"

Amazon - La Fnac - Épuisé

ROMAN N°04 : "Le bal des pourris"....

https://www.atramenta.net/ebooks/le-bal-des-pourris/1225

ROMAN N°05 : La Lieutenant au jupon rouge Épuisé

ROMAN N°06 : Popaul, l'enfant qui voulait aller au ciel retrouver sa mère.

 

Le Pythagore éditions www.lepythagore.com

ROMAN N°07 :Sacré Popaul !

Le Pythagore éditions
www.lepythagore.com

ROMAN N° 08 :Popaulissime !

Le Pythagore éditions
www.lepythagore.com

ROMAN N° 09 Signé Popaul

Le Pythagore éditions
http://www.lepythagore.com

ROMAN N° 10 La carte à jouer

Compte-rendu du comité de lecture

ROMAN N° 11 La chair salée a disparu

https://liralest.fr

ROMAN N° 12 Riton le facteur et son chien Marcel...en tournée.



www.lepythagore.com

ROMAN N° 13 L'or de la Barse

https://liralest.fr

À lire

ROMAN N° 14 Popaul: scout toujours prêt!

http://www.lepythagore.com

ROMAN N° 15: Dis maître...Est-ce que tu veux bien être mon père?"

En attente de publication

 

ROMAN N° 16 .Et mon coeur de battre comme un joli p'tit tambour

http://www.lepythagore.com

ROMAN N° 17 : Un amour de Popaul En attente de publication
ROMAN n° 18:: Marie des Varennes En attente de publication
ROMAN n° 19:: Le maître d'école et la fille du vent En attente de publication
ROMAN n° 20:: Popaul et le p'tit vendeuvrois. En attente de publication
ROMAN n° 21:: Un petit soulier rouge dans la neige blanche

http://liralest.fr/

ROMAN n° 22:: Qui en veut au coq du clocher? ¦À proposer à l'édition
ROMAN n° 23:: Le temps des loups À proposer à l'édition
ROMAN n° 24:: J'ai l'honneur de vous dire... que vous n'êtes pas invités à mes funérailles À proposerà l'édition
ROMAN n° 25:: Laurine

https://www.atramenta.net/

ROMAN n° 26:: L'itinéraire d'un crétin À proposer à l'édition
ROMAN n° 27:: Les becs brûlants

http://liralest.fr/

ROMAN n° 28: Supporters êtes-vous là? A proposer à l'édition
ROMAN n° 29: Les niaiseux

Éditions Liralest

ROMAN n° 30: Jeanne et ses chats  
ROMAN n° 31: Le grand Retour  

 

– LE CHALLENGE: PUBLICATION CHAQUE MOIS DE NOUVEAUX CHAPITRES ECRITS AU JOUR LE JOUR –

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LE GRAND RETOUR

 

 

 

Christian Moriat

 

 

 

Chapitre 1

 

 

 

Le grand retour

 

 

 

Fin du premier chapitre

 

 

Pan ! Pan...!
Qu'est-ce que j'entends... ? Des tirs... Là-bas, derrière moi. On tire à tout va. Vite ! D’autant
qu'en même temps que la mitraille, me parviennent de plus en plus nettement les aboiements des
chiens. Vite ! Il faut que je me sorte de là. Mais où aller ? Avec des cabots à mes trousses et une cheville en délicatesse ? Je n'ai aucune chance. Après tout, plutôt mourir d'une balle plutôt que finir dans un crématoire. Ça va plus vite et c'est moins douloureux.
Mais avant, pour défendre ma peau, j'irai jusqu'à l’extrême limite de mes forces. Aussi dois-je continuer à me battre. Ils ne m'auront pas vivants. Je les connais trop pour savoir qu'avec eux, mon sort est scellé. Tôt ou tard de moi, irrémédiablement, ils se débarrasseront. Je le sais. C'est écrit. Plus de traces. C'est leur volonté. Nous sommes des Stücks. Des sans-valeur. Des moins que rien.

Je n'en peux plus. Mon pied me fait trop souffrir. Rampant, avançant sur les genoux, je suis noyé au centre de hautes herbes. Je ne vois ni ciel ni terre... Avec des aboiements qui se précisent de plus en plus. Et des bruit des détonations de plus en plus proches. Je sens que c'est la fin. Tant pis, je
m'assois.
Je suis foutu. Et j'attends. Fataliste. Advienne que pourra.
Quelques oiseaux dérangés dans leur sommeil rêvent dans les arbres et le goutte à goutte des feuilles me tombent sur la tête...
Tiens, un drôle de bruit ?! Qu'est-ce que c'est ? La pluie...? Non ?! On dirait de l'eau. Qui coule. Y aurait-il quelque part un ruisseau ? Une rivière ?
Vite ! Debout !

Je ne me suis pas trompé. La chance me sourit. Il y a bien un cours d'eau qui traverse la
forêt. Je l'aperçois à travers les branches d'un taillis, qu'il me faut absolument contourner pour accéder au rivage providentiel. Ce qui, une fois encore, ne va pas être facile. Mais, si j'y parviens, non seulement, je vais pouvoir calmer ma soif, mais c'est l'occasion inespérée de brouiller ma piste et tromper le flair des chiens, qui sont sur mes talons.

Reprenant ma canne improvisée, je rassemble toute l'énergie qui me reste, pour gagner la rive salvatrice...
Enfin, après avoir effectué non sans mal le tour du hallier, je parviens à gagner le bord...Le lit est large. Le courant est soutenu. Aussitôt, dans la conque de mes mains réunies, je profite de l'aubaine qui m'est offerte pour me désaltérer comme il n'est pas permis. Les gouttes de pluie, sur les fougères n'ayant pas suffit à calmer ma pépie. De ma vie, je n'ai trouvé eau si pure, si belle et si bonne. Bien qu'elle soit très froide.
Une fois retirées les pauvres guenilles que je porte, j'entre dans la rivière, qui m'emporte. Loin, très loin. Un bras en l'air pour éviter de les mouiller davantage.

Je suis sauvé. La vitesse du flot est telle que je n'ai nul besoin de nager. Soulageant ainsi mon pied meurtri. Le liquide, bien que glacial, ne peut que lui faire du bien.
À cette occasion, je loue mes parents de m'avoir régulièrement envoyé à la piscine afin de me donner les premiers rudiments de natation.

Enfin, jugeant assez grande la distance qui me sépare de la horde de mes poursuivants, je choisis un endroit propice pour aborder le long d'une petite plate-forme au parterre de graviers. Un endroit plus calme, parce que abrité du flux.
D'où je suis, je n'entends ni les chiens, ni les coups de feu. Je suis momentanément en sécurité.

Toutefois, la route vers la France - pays ô combien adoré - me paraît bien longue. J'ignore à l'heure actuelle, si je suis près de la frontière. D'après ce que mes compagnons de misère m'ont
appris dans le train, après la Pologne, nous avons amorcé une petite incursion en Allemagne. Sur combien de kilomètres ? Je l''ignore. C'est pourquoi je me doute qu'il me reste un bon bout de chemin à faire. Surtout à pied. Et avec des espadrilles en capilotade.
Pour l’instant, une fois rhabillé, je profite de l'aplomb supérieur du rivage pour m'abriter de la pluie et tenter de dormir. Il pleut toujours et la neige a complètement fondu. Aussi, comme je suis au bord de la rivière, me faudra-t-il être vigilant quant à une possible montée des eaux. Après avoir échappé aux barbares et aux cerbères, ce serait stupide d'être emporté par un cours d'eau en crue.
Malgré tout, le lit de cailloux n'est guère rembourré, mais après avoir connu l'inconfort des camps et la fatigue aidant, bien malgré moi je ne tarde pas à sombrer dans le sommeil. Avec l'image de ma mère bien présente dans ma tête pour, dans mes rêves, m'accompagner. Je ne sais pas pourquoi, mais je sais qu'elle est vivante. Ma chère maman.

C'est le soleil qui me réveille. Je suis glacé. Et mon dos est tout endolori. Par contre, ce qui me réjouit, c'est que mon pied a désenflé.
Après un "dérouillage" en règle de mes membres, la douloureuse sensation de raideur éprouvée au réveil, peu à peu de s'estomper. Et mes articulations de retrouver leurs facultés. Enfin, c'est avec satisfaction que je constate que, de nouveau, mais avec un minimum de précaution, je puis m'appuyer sur mon pied droit. Retrouvant ainsi le mécanisme de la marche.

Par bonheur, il ne pleut plus. Par contre, je suis faible. Très faible. Parce que j'ai
excessivement faim. Comme nous sommes en hiver, à part quelques têtes de rares fougères - plus rares en ce lieu, en raison d'un sol qui ne leur convient pas -, ainsi que quelques racines et tubercules promptement déterrées et un peu d'herbe jaunie grappillés çà et là, je parviens mal à apaiser ma fringale.
Après avoir réussi à escalader une berge, particulièrement élevée, droit devant ! Je me lance, en ménageant ma cheville.
Je ne sais pas du tout où je vais.
Aussi, après avoir quitté la forêt, je longe prés et champs. Où, après avoir longtemps cherché, par bonheur je finis par découvrir une betterave oubliée mais quelque peu gâtée, dont je fais mon ordinaire.
Armé de forces neuves, je reprends mon interminable marche, en évitant toute rencontre indésirable. Délaissant routes et chemins au profit de sentes à peine frayées. Par la faute de vêtements de bagnards trop facilement repérables. D'autant plus que je ne suis guère à l'aise avec la langue germanique trop gutturale et trop caillouteuse à mon goût - langue que je hais profondément, de par son appartenance à celle des barbares, tout en ordres et hurlements.

C'est alors que derrière un repli de terrain, j'aperçois une ferme à la cheminée fumante. Ce qui me change des ruines par ailleurs croisées. Que ne donnerais-je pas pour un bon feu. Le malheur pour moi, ce sont les chiens. Pourtant, au camp, j'avais réussi, à force de patience, à en apprivoiser un. C'était un berger allemand, qui appartenait au gardien à la pomme, SS particulièrement ignoble. Malgré tout, et j'ignore pourquoi, mais comme son maître, la bête m'avait à la bonne. Il est vrai que j'ai un don inné : celui de savoir parler aux chiens. Réussissant même à lui faire accepter les caresses que je lui prodiguais - en l'absence de son propriétaire naturellement, sinon, bien qu'il fût bienveillant à mon égard, je ne préjugeais pas de ses éventuelles réactions, qui auraient pu m'être préjudiciables. De ces gens-là, il faut rester sur ses gardes. Tant ils sont de caractère versatile, avec un instinct toujours tourné vers le mal. Malgré tout, si la bête aiguisait ses crocs sur les autres détenus, jamais, il ne les a exercés sur moi. Ce qui, pour tout le monde comme pour moi, constituait un véritable mystère !

Prudemment, je me fonds dans un bosquet, dans l'attente de la nuit prochaine. Si je peux
chaparder quelques œufs dans le poulailler du fermier, je ne m'en priverai pas. Seulement, pour cela, il me faut patienter. Vu que je suis en milieu d'après-midi.

C'est le moment. Personne en vue. Il est tard. Depuis longtemps, l'obscurité a gagné la campagne. Et, signe de réchauffement, un voile de brume commence à monter. Avec d'infinies précautions, je me risque à sortir du boqueteau. Longe un pré, franchis deux ou trois clôtures ceintes de barbelés. Gagne un sentier...
M'y voici. Comme je m'y attendais, dans la cour un cabot se met aussitôt à aboyer. Malheureusement pour moi, il est en liberté. S'il continue, il va finir par rameuter les paysans. Il faut absolument le calmer.

Je l'appelle. Il vient à ma rencontre. C'est un bon vieux corniaud, un chien de troupeau, qui ne ferait pas de mal à une mouche. Il faut toutefois faire attention. Usant de la sympathie que j'inspire à la plupart des clabauds, je m'accroupis, histoire de me mettre à sa hauteur, et lui parle doucement, pour le rassurer. Celui-ci, intrigué s'arrête, étonné de me voir si peu impressionné. Lève une patte interrogative, preuve de profonde réflexion. "Ami ou ennemi ?"... C'est ce qu'il a l'air de penser. Puis, après une dernière hésitation, il décide de davantage s'avancer.
Je le laisse faire. Il s'approche de moi lentement, à son rythme, tant à mon égard il éprouve de défiance. Surtout, ne pas le brusquer par un geste maladroit. À présent, il est tout près. Me renifle. Éternue. Postillonne. Se reprend. J'en profite pour lui tendre une main prudente, en tentant de le caresser sous le museau - façon à moi de gagner une confiance, qu'il semble apprécier. Effectivement, celui-ci ne refuse pas le contact, qui en profite pour me lécher. Puis il décide de se coucher à mes pieds, ventre en l'air, pour mieux jouir de mes cajoleries. Enfin, après avoir multiplié propos et caresses, le voilà conquis. À tel point qu'il saute de joie, et danse autour de moi. En
jappant. Ce que je n'apprécie pas et le lui fais savoir. De nouveau, il se calme

J'attends encore un peu. Au cas où il aurait réveillé les fermiers. Mais aucune lumière ne filtrant à travers les persiennes, c'est en sa compagnie, que j'entreprends la visite des lieux.
Le poulailler, d'abord où je grappille deux ou trois œufs, malgré l'indignation des poules dans leur sommeil dérangées.
Ensuite, je me rends à l'étable. Pour boire le lait à même le pis d'une vache bonasse, qui se laisse faire sans émotion apparente.

Puis, la paillère ensuite, où j'ai la chance de découvrir un bleu de travail à bretelles troué, aux couleurs délavées par le soleil et un chandail mité, abandonnés par terre, dans un coin. Après avoir secoué ces frusques, pour éliminer poussière et toiles d'araignée, j'en profite pour faire échange de vêtements. Mes pyjamas à rayures étant par trop voyants.
C'est un peu grand. Je dois avoir l'air d'un épouvantail à moineaux. Qu'importe. Il suffit de retrousser les manches et de remonter les bas de pantalon. Puis d'ajuster les bretelles pour adapter celui-ci à ma taille. L'important, c'est d'être habillé "en civil".
Au cours de cette opération, le chien n'en finit pas de sautiller, croyant que je m'amuse.
Enfin, écrasé de fatigue, je m'endors dans la paille, l'animal entre mes bras.

- Was machst du hier, Junge ? ¹
Je sursaute. Pour immédiatement me relever.
C'est le fermier qui vient de me réveiller. Je sens mes cheveux blanchir jusqu'à leur racine. Je me croyais au camp.
Il n'empêche. Cela ne change rien. C'est un Allemand. Et de ces gens-là, on ne peut rien
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1. Qu'est-ce que tu fais ici, gamin ?

attendre de bon. Je suis en fuite. Et me suis clandestinement introduit chez lui. Aussi est-il susceptible de me dénoncer.
C'est un homme d'une bonne cinquantaine d'années, rougeaud, trapu, portant casquette sur la tête et fourche à la main. Hélas pour moi, je ne comprends pas un traître mot de ce qu'il me raconte. Mais, en apercevant mes frusques rayées sottement par terre oubliées, il comprend :

- Ach so ! Ein junger Deportierter ¹ !
À côté de moi, le chien a soulevé un œil. Mais n'a pas esquissé le moindre mouvement. Tant près de moi il se sent bien.
- Mein Gott ! Was soll ich mit dir machen ²?
Après un instant d'hésitation, d'un geste de la main, il ajoute :
- Komm ! Folge mir nach 3 !

J'obtempère. Le chien se secoue, puis regrettant d'avoir été dérangé, à contrecœur nous accompagne.
Nous sortons tous les trois de la remise. Il ouvre une porte. Nous voici dans la cuisine:
- Mein Gott ! fait sa femme. Ein Kind ! Was macht er hier... ? Ach ! Wie dünn er ist 4 !
Ils s'expliquent. L'homme est contrarié. Sa femme est petite, tout en rondeur, mais d'apparence très avenante. Une fois sa surprise passée, et me voyant ainsi affublé, elle ne peut pas se retenir de rire :
- Sehen Sie, wie er gekleidet ist 5 !

D'un geste, elle m'invite à prendre place autour de la table. Ouvre un placard. M'apporte un bol. Se dirige vers sa cuisinière. S'empare d'une casserole de lait fumant. Remplit le bol en question et y ajoute un liquide noir qui semble être du café, mais qui n'en a point l'odeur. Me prépare des tartines beurrées. M'apporte œufs, lard et saucissons. Et je dévore le tout à belles dents. Pendant que son mari se roule une cigarette.

Visiblement, la maîtresse de maison est satisfaite.
Après concertation, par gestes, tous deux me font comprendre qu'ils ne peuvent pas me garder.
- Dangereux, qu'ils me font. Dangereux!
Puis me demandent ce que je compte faire.
Je leur réponds que je veux me rendre en France. Conformément à ce que j'avais entendu en détention, ils me confirment que les Américains ont débarqué en Normandie. Que mon pays est en partie libéré. Mais que ce sont eux qui, avec les Anglais, bombardent actuellement l'Allemagne. Détruisant de nombreuses villes. Grâce à dieu, si pour l'instant ils ont échappé au malheur, c'est parce qu'ils habitent à la campagne.
- Guerre, mauvaise ! soupirent-ils.

Après m'avoir fourni des vêtements plus appropriés tout en m' informant qu'ils appartiennent à l'un de leurs petits fils, qui demeure avec ses parents dans le village voisin, ils me préparent un sac à dos qu'ils bourrent de provisions et me souhaitent bonne chance.
Le pauvre femme pleure en m'embrassant. Sans doute est-elle au courant de ce que les déportés subissent dans les camps.

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1. Tiens ! Un jeune déporté !
2. Mon Dieu ! Qu'est-ce que je vais faire de toi ?
3. Viens ! Suis-moi !
4. Mon Dieu ! Un enfant ! Qu'est-ce qu il fait ici... ? Ah! Ce qu'il est maigre !
5. Voyez comment il est habillé !


Et c'est à pied que je reprends ma route afin de gagner la frontière germano-française. Dormant dans des granges, à l'intérieur des parcs, au pied des arbres - soleil et pluie ayant depuis longtemps fait fondre la neige -, sous des porches aussi ou dans des demeures délabrées, quand il y en a qui tiennent encore debout, lesquelles sont rares.
Avec mes vêtements civils, je parviens à me fondre au milieu d'une population qui ne prête guère attention à moi. Occupée qu'elle est à se protéger des bombardements. Pour en sortir lors des accalmies et chercher dans les décombres de leurs maisons ce qui peut être encore sauvé. Autrement dit, pas grand-chose.

Que de villes et de villages détruits ! Ah, elle est belle l'Allemagne, ce phare du monde, actuellement réduit à un tas de cendres ! Je vois des gens qui fuient. Mais où peuvent-ils bien aller ? Pris en étau qu'ils sont entre des alliés qui les poussent vers l'est et des Russes qui les refoulent vers l'ouest ? C'est l'exode inversé. Celui qu'en France nous avons connu quelques années plus tôt.

Que de morts ! Partout. Sur les routes, dans les rues. Ici, des bras et des jambes, qui dépassent des gravats. Là des enfants en pleurs, debout, bras ballants, au pied de parents couchés par terre et gisant dans des mares de sang - je m'abstiens de parler, car s'ils savaient que je suis français, ils n'hésiteraient pas à me faire subir un mauvais sort.

Plus loin, des chevaux agonisants. Puis des chiens affamés dépeçant des cadavres. Ça sent le fer. Ça sent la poudre. Ça sent la rouille. Ça pue la charogne. Cadavres d'hommes, de femmes et
d'enfants, qu'on n'a pas le temps d’enterrer. Avec, encore, au-dessus de nos têtes le ballet des avions
qui tournent dans un ciel, qu'on devine plus qu'on ne voit, noyé qu'il est dans l'opacité noire des fumées. Le soleil ne parvenant pas à percer.
Je suis au cœur du massacre. On tire à gauche. On tire à droite. Des gens courent. Des soldats qui se couchent par terre. Puis qui se relèvent ou qui ne se relèvent pas. C'est selon.
Il y a des tanks, qui abattent des pans de mur entiers. Lesquels de s'écrouler sur la chaussée comme châteaux de cartes, en soulevant des nuages de poussière. Il y a des motos qui explosent. Des camions qui flambent. Des voitures sur le toit avec des roues qui tournent encore. Des chevaux couchés sur le flanc hennissant leur souffrance

C'est la grande débandade. Aux abris, vite ! C'est ce que je fais moi, le petit Français, en compagnie de civils étrangers inconnus. Sommés de s'abriter par ordre de la défense passive allemande - toujours en prenant garde de ne pas parler. De toute façon, de la langue du pays, comme précédemment mentionné, je ne connais que quelques mots; la plupart outranciers, ou à base de jurons et d'invectives appris au camp, et que je ne peux ici utiliser.
Il me faut partir au plus vite... Ce que je fais, une fois l'alerte passée.

Et ma marche de reprendre. Toujours à pied. Évitant de traverser les villes bombardées. Depuis longtemps, les provisions données par les fermiers, ont été consommées. Aussi dois-je faire des prouesses pour m'alimenter. Vivant uniquement de rapines dans les fermes, de quelques légumes dans les champs oubliés - ce qui reste exceptionnel -, de visites de maisons abandonnées par des habitants en fuite où subsistent des restes de victuailles, ou encore de nourritures subtilisées aux malheureuses victimes qui jonchent les routes, en fouillant leurs sacs et leurs valises. Il n'est pas rare en effet d'y trouver de quoi s'alimenter.
Certaines caves sont aussi de véritables cavernes d'Ali Baba. Lesquelles toutefois sont peu nombreuses, étant donnée la pénurie qui frappent leurs propriétaires. Hélas ! Les bouteilles de bon vin que je peux observer le long de certains murs particulièrement bien achalandés présentent pour
moi peu d'intérêt. Ce n'est pas du liquide que je cherche, mais une nourriture suffisamment consistante pour réalimenter mon corps anémié. Lequel est soumis à rude épreuve. Il n'y a qu'à voir mes pauvres petits bras et mes pauvres petites jambes. Je n'ai que la peau sur les os. Quant à mes pieds ensanglantés couverts de brûlures et d'ampoule. Ampoules que je crève les soir avec une aiguille, que j'avais pris soin d'emporter lors de la fouille en règle d'une valise.

Par bonheur, hier, en traversant un village, je suis tombé sur une épicerie criblée d'impacts de balles et d'éclats d'obus. Derrière une devanture effondrée, dans le fatras des étagères écroulées, parmi morceaux de plâtre et bris de verre, j'ai fait main basse sur nombre de boîtes, de bocaux encore intacts et de conserves - je trouverai bien un moyen de les ouvrir. Puis un savon, pour nettoyer mon linge et une savonnette pour faire ma toilette, car, à part à la ferme où j'ai été si charitablement accueilli, je n'ai guère eu l'occasion de me laver. Tout en regrettant de ne pas pouvoir tout emporter. Heureusement, il y a des sacs ! À l'intérieur, j'y avais introduit autant de victuailles et de choses indispensables à la vie courante, que ceux-ci pouvaient contenir. En sous-estimant bien malgré moi, le poids représenté par l'ensemble. Aussi avais-je été contraint d'en retirer. Malgré tout, ce que je n'ai pas pu prendre n'avait pas été perdu pour tout le monde car, derrière moi, j'avais aperçu plusieurs crève-la-faim en train d'investir la boutique, pour se servir. Même que de loin, je les entendais se disputer.

Je poursuis toujours mon chemin. M'obligeant à effectuer ma quinzaine ou ma vingtaine de kilomètres quotidienne - au jugé, vu que ne ne les compte pas. Me référant aux pancartes d'entrées
de villes, quand elles sont encore debout et grâce à une carte découverte dans le grenier d'une
demeure à l'abandon.

Je marche sur un véritable tapis de ruines. Sans me rendre compte que, depuis quelque temps, je viens d'entrer en France. C'est en surprenant une conversation entre deux villageois que je comprends que je viens de réussir un pari fou: mon grand retour.
Cela me fait tout drôle. J'en suis tellement surpris que je mets plusieurs minutes avant de réaliser :
- Vous êtes français ?
- Quelle question !
- Vous êtes prisonniers comme moi ?
Échange de regards entre les deux interlocuteurs apparemment surpris d'une telle question. Après explication, ils m'apprennent qu'ils sont tous deux habitants de cette petite commune vosgienne où je viens, pour la première fois de ma vie, poser les deux pieds.
Or donc je suis dans les Vosges, d'après ce que je comprends. Et ne le savais pas. Après une traversée de l'Alsace à mon insu, me croyant encore en Allemagne. Vu la configuration des villages et des maisons d'une province qui présente tant de similitudes avec sa voisine germanique. C'est ce qui arrive quand on fuit le contact. Et quand - hélas! - on perd la carte que la providence m'avait permis de trouver.
C'est ce que je leur déclare.

- Est-ce qu'il y a des Boches dans le coin ?
- Des Boches, non, mon gars. Sont tous partis.
- D'où que tu sors donc, mon gamin?
- D' Oswiecim (Auschwitz)
- Connais pas.
- C'est où ?
- En Pologne.
- C'est loin.
- Derrière l'Allemagne.

Comme ils ont l'air engageant, je leur raconte qu'il s'agit d'un camp où on brûle les gens. Et que j'ai profité de l'arrêt d'un train pour m'évader, parce que mes gardiens fuyaient l'avancée des Russes.
Comme, de par leurs gestes et de par le jeu de leur physionomie, et remarquant qu'ils me prennent pour un malade mental, il me semble vain d'aller plus loin. Comment pourraient-ils comprendre ? Aussi m'obligent-ils à clore la conversation en concluant qu'il s'agit d'un camp de travail très rigoureux.
- Ah ! Un camp de travail, font-ils de concert. Comme si ces trois mots étaient banals.
Cette fois, ils ont saisi.
- Tu n'es pas bien gros, remarque le premier. Il est vrai en effet que je suis à bout de ressources. Ayant depuis longtemps vidé mon dernier sac de nourriture.
- Et tu dors où ?
- Où je peux. Sous les ponts parfois. Dans les granges souvent. Partout où j'ai un toit au-dessus de la tête.

De nouveau je les informe que mon but est de rentrer chez mes parents, dans l'Aube, près de Troyes en Champagne.
Ils compatissent en apprenant que je suis orphelin de père. Assassiné par les SS. Et que je suis à la recherche d'une mère qui, peut-être, m'attend à la maison.
Pris de pitié, le second, se propose de m'offrir le gîte et le couvert. Ce que j'accepte bien volontiers.

Une nuit. C'est le séjour que je m'impose. Le couple qui m'accueille a beau tout faire pour me le rendre agréable. Malheureusement, le lit douillet qu'ils mettent si généreusement à ma
disposition ne me permet pas d'assurer un sommeil réparateur. Trop habitué que je suis à dormir "à la dure". Aussi, je ne m'éternise pas dans cette si confortable couchette, lui préférant la rudesse du plancher. Ce qui, à mon réveil, étonne mes hôtes.

Après un repas copieux, et muni de moult provisions, c'est d'un bon pas que je reprends la route, sous le regard contristé de mes hôtes.
Quinze jours après, grâce à des chauffeurs de passage qui m'ont pris dans leur voiture ou leur camion, je redécouvre Varèges, ma ville natale.. Sous un grand soleil.
Jamais, au grand jamais, je n'ai autant marché !

À SUIVRE

 

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