ROMANS

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ROMAN N°01 : "L'école dont l'instit est un cancre"

Interview lors de la sortie du second tome:

 

Ed.Praelego-2ème volume

ROMAN N°02 : "le Lézard dans le buffet"(Extrait)

 

 

ROMAN N°3 : "Lucile Galatte ou le temps des gauloises bleues"

Amazon - La Fnac -

ROMAN N°04 : "Le bal des pourris"....


ROMAN N°05 : La Lieutenant au jupon rouge

ROMAN N°06 : Popaul, l'enfant qui voulait aller au ciel retrouver sa mère.

 

Le Pythagore éditions www.lepythagore.com

ROMAN N°07 :Sacré Popaul !

Le Pythagore éditions
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ROMAN N° 08 :Popaulissime !

Le Pythagore éditions
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ROMAN N° 09 Signé Popaul

Le Pythagore éditions
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ROMAN N° 10 La carte à jouer

À paraître

ROMAN N° 11 La chair salée a disparu

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ROMAN N° 12 Riton le facteur et son chien Marcel...en tournée.



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ROMAN N° 13 L'or de la Barse

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ROMAN N° 14 Popaul: scout toujours prêt!

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ROMAN N° 15: Dis maître...Est-ce que tu veux bien être mon père?"

En attente de publication

 

ROMAN N° 16 .Et mon coeur de battre comme un joli p'tit tambour

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ROMAN N° 17 : Un amour de Popaul En attente de publication
ROMAN n° 18:: Marie des Varennes En attente de publication
ROMAN n° 19:: Le maître d'école et la fille du vent En attente de publication
ROMAN n° 20:: Popaul et le p'tit vendeuvrois. En attente de publication
ROMAN n° 21:: Un petit soulier rouge dans la neige blanche

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ROMAN n° 22:: Qui en veut au coq du clocher? Non proposé à l'édition
ROMAN n° 23:: Le temps des loups  
ROMAN n° 24:: J'ai l'honneur de vous dire... que vous n'êtes pas invités à mes funérailles  
ROMAN n° 25:: Laurine

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Livre et Ebook

ROMAN n° 26:: L'itinéraire d'un crétin  

 

– LE CHALLENGE: PUBLICATION CHAQUE MOIS DE NOUVEAUX CHAPITRES ECRITS AU JOUR LE JOUR –

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LES BECS BRÛLANTS

ou

LES UREBECS

Christian Moriat

CHAPITRE 1

 

Amer constat


- Combien de ceps dis-tu ?
- Une soixantaine.
- Sur combien de rangs ?
- Trois, quatre.
- Et la semaine dernière ?
- Une cinquantaine, sur trois rangs.
C'est Jacques, l'aîné d'une fratrie de cinq enfants, qui vient d'alerter son père. Il est le fils aîné de Joseph Sautriot, dénommé l'Ancien, et de Marie, paysans à Vendeuvre. Dont le vignoble s'étend sur le flanc de la Côte de Villy - au lieu-dit Les Varennes. Lequel surplombe la vallée de la Barse et dévale la pente pour venir lécher la rue des Voies de Vienne. Peu avant le viaduc des « Vingt Ponts », communément appelé ainsi, en raison de la vingtaine d'arches qui le compose. Lequel enjambe la route qui conduit vers Troyes, la capitale de la Champagne.
Comme toutes les familles paysannes, les Sautriot font un peu de tout : blé, seigle, et luzerne, mais en petite quantité. Ils possèdent aussi deux, trois vaches pour le lait, quelques moutons pour la laine, quelques chèvres et un peu de volaille pour les œufs, guère davantage. Histoire de voir venir. Puis, ils possèdent également deux, trois prés pour les bêtes, deux, trois champs pour le foin, un verger planté en cerisiers et en poiriers, pour les bocaux, en cognassiers pour les gelées et pour guérir des diarrhées, en mirabelliers pour la goutte et en pommiers pour le cidre, ainsi qu'un vaste jardin potager que Marie entretient avec un soin jaloux. Et, comme pour le reste, on y trouve de tout : des pommes de terre, des topinambours, en passant par les salades et les choux, jusqu'aux céleris, raves, navets, panais, radis, poireaux et carottes. Sans oublier son superbe plant de fraisiers, dont les fruits embaument la cuisine au moment des confitures. Sans oublier non plus groseilliers et cassissiers.
Mais, ce qui fait leur orgueil à tous, ce sont les trois journaux de vignes, qu'ils possèdent et dont ils vendent le raisin au marché, ainsi que le vin, qu'ils élèvent eux-mêmes dans leur chai. Ce dont ils sont peu fiers, car étant de qualité, celui-ci est très demandé.

Mais aujourd'hui, L'Ancien est soucieux. Qui déclare qu'il va rejoindre L'Aîné, histoire de se rendre compte par lui-même. Pour l’instant, il est en train de tremper des mouillettes dans sa soupe du matin. Une panade allongée d'une rasade de vin rouge. Déjà, les gouttes perlent dans sa barbe. L'obligeant à s'essuyer d'un revers de manche, parce que ça coule.
C'est vrai qu'il y a de quoi se montrer inquiet, car en bon vigneron qu'il est, et quand il le peut, il ne manque jamais d'aller faire un tour du côté de leurs vignes. Sauf qu'occupé ailleurs, cela fait un petit moment qu'il n'y est pas allé. C'est la raison pour laquelle il avait envoyé son fils.
Nous sommes à la mi-mai et, avec l'aide de celui-ci, qui jamais ne rechigne question travail, ils ont déjà procédé à l'épamprage des rameaux infertiles, issus des troncs et des bas de souche, qu'on dit « gourmands », puis à l'élimination des plantes parasites, avant un second labour plus en surface que le premier, effectué avec Amiral, leur cheval de trait. Une crème d'animal, débonnaire, obéissant et suffisamment expérimenté, pour passer dans les sillons, sans ne rien abîmé.
Or, il y a plusieurs jours, Joseph avait bien constaté un curieux phénomène : le dessèchement de certaines feuilles, dont quelques-unes étaient enroulées en cigares. Cela l'avait interpellé, puis il avait fini par se raisonner. Jugeant qu'il n'y avait pas péril en la demeure. Ce n'était pas pour quelques feuilles vrillées qu'il fallait s'alarmer. Il en avait vu bien d'autres. Notamment, l'année où il avait fait si froid. Il y a quelques années de cela. La colère du ciel, cette fois-là, s'étant particulièrement déchaînée, les biens de la terre avaient alors tourné à rien. Avec neige, pluie, vent et grésil sans discontinuer.
Sans oublier le gel qui s'était installé sur la plupart de ses parcelles - même sur celles de ses confrères.
Sans oublier les orages qui avaient percé avec violence, et qui, de ce fait, commirent tant et tant de ravages. La grêle criblant le feuillage et le réduisant à l'état de passoires. Combien de fois avait-il entendu sonner le tocsin pour éloigner la foudre ! Les dix doigts de la main ne suffisaient point à en faire le compte. Si encore cela avait servi à quelque chose !
C'étaient aussi des coulées de boue à n'en plus finir, qui avaient dévalé la pente, emportant avec elles pierres, terre et paisseaux, sur leur passage, puis engendrant de profonds ravinements, ainsi que des inondations qui gagnèrent la route de Troyes. Lesquelles avaient mêlé leurs eaux à celles d'une Barse en crue. Une véritable catastrophe ! Le coup de grâce pour le travail des humbles tâcherons, dont la famille Sautriot fait partie.
Quelle faute avaient donc commis nos Vendeuvrois, pour mériter un tel châtiment ? Était-ce du côté de Dieu qu'il fallait chercher la cause ? Ou bien du côté paysan en raison de quelque écart de conduite par eux commis ?
Y en aurait-il qui n'auraient point payé leur dîme ? La grosse, sur les cultures céréalières ? La menue, levée sur les fruits ? L'ancienne, perçue sur les autres cultures. Et la verte, sur les potagers ? Pas ceux des Varennes en tout cas. De mémoire, nul décimateur, nul terreur, nul champarteur ne s'en étaient plaints, eux qui venaient lever leur dû sur le champ, avant que le paysan n'ait eu le temps de rentrer sa récolte.
Y en aurait-ils qui ne se seraient pas acquittés du droit de vinage? Là encore, à la ferme, on n'en avait pas entendu parler.
- Les Lécuyer, peut-être ? Leurs voisins, qui n’entretiennent pas bien leurs terres ? Il faut voir leurs vignes dans quel état elles sont, avec leurs allées recouvertes d'orties, de pissenlits et de chiendent. Et s'il n'y avait que cela ! Mais leur vin, on ne peut pas le boire. Tant il est vert. Aussi ne trouve-t-il guère preneur. Contrairement à ceux de la ferme des Varennes, qui, étant très prisé de la clientèle, est d'un bon rapport. Ce qui ne manque pas aux premiers de jalouser les seconds. Aussi font-ils preuve de froideur et de mépris, à l'égard de ceux des Varennes qu'ils ne saluent pas et avec lesquels ils ne parlent pas.
Ou bien, y en aurait-il enfin, qui se seraient soustraits au devoir de gabelle ? À sa connaissance, Joseph n'avait jamais eu vent d'un contrevenant qui aurait été cité au Grenier. Si tel avait été le cas, nul doute qu'il aurait vu débarquer un ou deux huissiers ou un ou deux gabelous, contraignant de corps le fautif.
Il ne savait plus à quoi penser. C'est qu'on en avait dit des messes ! C'est qu'on en avait fait des processions ! Hélas !Dieu était resté sourd aux appels d’une communauté qui ne savait plus à quel saint se vouer. Il les avait tous bel et bien abandonnés.
S'il n'y avait que les gens de la campagne à être aussi durement éprouvés ! Seulement, il n'y avait pas qu'eux. C'est que le sort des habitants des villes ne valait guère mieux.
Les prix, notamment, et tout le monde s'en souvient, les prix avaient enregistré des augmentations à donner le vertige. Avec la pomme, par exemple, pour ne citer qu'elle, qui se vendait un carolus pièce au marché de Troyes. Ou le pot de vin qu'on ne pouvait pas obtenir à moins de dix sous !
Il faut se rappeler aussi que les vendanges avaient commencé fort tard - pas avant la fin octobre. Et le vin, qu'il soit blanc, qu'il soit rouge, avait été de piètre qualité. À telle enseigne que les marchands n'en voulaient point. Même qu'ils durent en jeter. Un véritable crève-cœur.
Et il y en a plus d'un cette année-là, qui n'avaient pu faire face aux charges dont ils étaient soumis par le seigneur et le clergé. Mais cela était resté une exception. Chacun, à Vendeuvre, à part les Lécuyer, qui sont toujours en train de se plaindre et de quémander, alors qu'ils ne font rien pour améliorer leur situation, chacun avait su tirer son épingle du jeu. Notamment à la ferme des Sautriot ; lesquels avaient plusieurs cordes à leur arc. Avec la pomme de terre qui, jamais, ne manquât. Et les bocaux de ceci et de cela, sans oublier les châtaignes qu'ils allèrent ramasser dans les bois, ils surent se tirer d'affaire sans demander rien à personne.
Même qu'il leur avait fallu lutter contre les bandes d'affamés qui, la nuit, se jetaient dans les champs, sur les épis à moitié mûrs. À cette occasion, le père et le fils avaient essuyé à diverses reprises coups de poing et coups de bâtons qui auraient pu leur être fatal. Et ils en ont gardé des souvenirs cuisants. Mais c' était ainsi : il fallait défendre son bien. Non seulement contre ceux de la vallée, mais également contre les malandrins et autres mauvais sujets de sac et de corde qui battaient la campagne. La faim poussant les hommes aux dernières extrémités.
Maintenant, c'était autre chose. Mais quoi ? Il n'en savait rien.

Ça y est. Le petit déjeuner est terminé. Il rebouche sa bouteille. Replie son couteau. Le glisse dans sa poche. Pose son bol et sa cuillère sur la pierre à eau. Sort. Se dirige vers la pompe. Actionne le balancier. Plonge la tête sous le robinet. Se débarbouille sommairement. Se passe une chiffe qui traînait par là, sur le visage. Et rejoint son fils qui l'attend, en contrebas.

Une fois sur place, comme lui, c'est avec stupeur qu'il découvre le flétrissement de plusieurs feuilles sur un même cep. Lesquelles sont sèches, « torses », enroulées comme des cigares. Et présentent la teinte brunâtre propre aux feuilles mortes. Pas de doute. Leur vigne est en train de sécher sur pied. À ce rythme-là, ils vont tout perdre.
Que se passe-t-il donc ? C'est ce que pensent nos deux vignerons. Que faire ? Mon Dieu, que faire ?
C'est alors que le fils attire l'attention du père :
- Regarde ! fait-il, en désignant un insecte de couleur vert doré, qui se promène de manière éhontée, le long d'une feuille toute fraîche et particulièrement bien développée. Laissant derrière lui traces de grignotage. Ce qui est dramatique car nous sommes au mois de l'inflorescence.
- Un charançon ! s'étonne le fils.
- Pas tout à fait, répond son père.
Il est beau. Dans son corset d'aspect métallique. Et mesure à peine la taille de l'ongle d'un petit doigt. Ce n'est donc pas un charançon. Alors, qu'est-ce que c'est... ? C'est la première fois qu'ils voient une bestiole pareille.
Puis, ils se reprennent...
- Non mais des fois ! Ce n'est tout de même pas un petit bestiau comme celui-là qui va ficher en l'air une année de travail, songent les deux paysans révoltés. Enfin quoi !
Mais la taille et la beauté ne font rien à l'affaire. Leur vigne est attaquée. Et il leur faut trouver la parade.

En se penchant au plus près sur l'une des bestioles, ils remarquent qu'elle est en train de grignoter la queue de la feuille qui relie son limbe à la tige, à l'aide de son bec ; lequel est long par rapport au corps, qui porte les pièces buccales situées entre deux antennes. À telle enseigne qu'on la dirait dotée d'une trompe. À l'instar de l' éléphant qu'ils avaient vu, un jour, sur la Place du Marché. Lors de la venue d'un cirque ambulant. Comme pour le coléoptère qu'ils ont devant eux, c'était la première fois qu'ils en découvraient un.
Ils ne sont pas long à comprendre qu'en cisaillant le pétiole, le « charançon » en question, arrête la circulation de la sève. Ce qui, à brève échéance, a pour conséquence de faire mourir la feuille.
- Qu'allons-nous devenir ? se demande le père, en déroulant l'un des cigares. À l'intérieur duquel il découvre une théorie d' une dizaine de petits œufs collés au limbe fripé.
- Faut aller chercher le Maître d'école, concluent-ils, en faisant chorus.


CHAPITRE 2

 

Le Maître d'école


« Le Maître d'école » vient d'arriver. C'est un vieux qui a son habitat au fond des bois. Et c'est comme cela qu'on l'appelle à Vendeuvre. Parce que, des plantes et des animaux, en passant par les humains, il sait tout sur tout. Personnage lunaire s'il en est, à la fois poète, scientifique et philosophe. À lui seul, il incarne un composite entre la science et la poésie, si tant est qu'on puisse inclure le savoir scientifique avec la sagesse et les belles lettres, avec lesquels il ne fait aucune différence. Passant de l'un à l'autre, sans privilégier l'une par rapport à l'autre. Prétendant qu'il y a de la poésie partout et dans tout. Ce qui en fait un homme à part.
À la fois médecin - médicastre, soutient le curé - et apothicaire - potard véreux, affirment les apothicaires, l'homme divise. Apprécié de ceux qu'il guérit, mais détesté par ceux qui suivent le verbatim du prêtre.
Néanmoins, pour un muscle froissé, un membre déboîté, une blessure, une brûlure, une verrue à faire passer, ou simplement de la fièvre, des maux de tête ou des coliques, on vient le consulter, après diverses tentatives ratées des docteurs. Même de loin. Quand il est dans sa cagna. Car, comme il ne tient pas en place, c'est rare de le trouver chez lui.
Soit, il est parti chercher des simples, destinées à la préparation de ses potions, de ses onguents ou autres cautères.
Soit, il est en train de poser des pièges quelque part, histoire d' attraper animaux à plumes et à poils.
Soit, il pêche grenouilles et poissons dans un trou d'eau. Soit, il « chasse » tout bonnement le champignon, selon la saison ou bien l'escargot, qu'ils soient petits-gris ou de Bourgogne. Mais ne fait jamais commerce de ce que la forêt lui offre, préférant en faire cadeau à ceux qui sont dans le besoin. De peur qu'elle ne se venge. En ne lui donnant plus rien. Aussi, pour lui-même, se contente-t-il de peu, car, affirme-t-il, « il ne faut jamais exiger plus que son dû ».
C'est donc un homme de principe. Qui ne vit que de braconnage ou de ce que lui apporte ses patients, en récompense de ses services et de ses conseils - autrement dit, pas grand-chose. Un sage en quelque sorte, que cet homme-là. Un homme comme on n'en trouve plus guère. Aussi économe de ses mots que des aliments qu'il consomme. Vu que c'est un grand taiseux. Dont la principale nourriture est celle des livres, qu'il dévore à haute dose. Quant au langage, celui qu'il comprend le mieux, c'est celui du vent dans les branches et celui des oiseaux dans les arbres. N'hésitant pas à se mêler à leur conversation, car il a le sifflet polyglotte - le parler du merle n'étant pas celui du rossignol, par exemple, ni celui de l'hirondelle ou de l'alouette des champs, pas plus que les hales di mas ne sont la soulère ou la galerne, lesquelles n'ont pas la même tessiture. De toute façon, peu lui importe le changement de registres, vu que les langues, il les parle toutes. Et passer de l'une à l'autre ne le dérange pas outre mesure.

Bref ! si intellectuellement l'homme est au sommet, moralement il est parfaitement équilibré. Apte à répondre avec efficacité à toute question qu'on soit amené à lui poser. Et toujours prêt à seconder son prochain.
Quant au physique, par contre, pour celui ou celle qui ne le connaît pas, d'aucuns diront que c'est un sauvage. Mais on ne peut pas tout avoir. Car, pour être franc, il faut bien reconnaître qu'il fait peur. D'abord, il est taillé comme une armoire. Haut de jambes et long de bras, il est. Et combien semblerait ridicule celui qui, d'aventure, serait amené à le côtoyer. Vu qu'il aurait tout du nain.
En outre, avec ses oreilles décollées, son nez épaté, sa barbe qui lui mange les trois-quarts du visage et ses cheveux qu'il peigne au râteau de ses doigts, on ne peut pas dire qu'il soit élégant. Mais on ne demande jamais aux hommes de savoir incarner la beauté. Sinon, dans ce domaine, il n'y aurait personne. Ce que l'on attend d'eux, c'est leur efficacité. Ce qui chez lui est inné.

C'est L'Aîné qui avait été chargé de le trouver. Ce qui n'a pas été facile. D’autant plus qu'il a fait de la Forêt d'Orient son royaume et que celui-ci est particulièrement vaste. Or, aujourd'hui, comme il n'est point au logis, d'instinct, celui-ci a suivi un petit ru qui s'en allait serpentant dans la futaie, telle une couleuvre à collier. C'est là, après une bonne heure de marche que Jacques finit tant bien que mal à le trouver. Il est là, devant lui, les deux pieds dans l'eau, pantalons relevés jusqu'aux genoux. En train de pêcher le pescale sans hameçon, ni bouchon. Pour aller plus vite. Exercice pour lequel il fait preuve d'une adresse peu commune.
Aussi, après que Jacques lui ait expliqué les tenants et aboutissants de sa visite, celui-ci, décide de se rendre tout de go, à la ferme des Sautriot, afin de se rendre compte de l'état de leur vigne.

Une fois celui-ci rendu sur place, dès que le père lui ait indiqué les cigares d'un coup de menton, le Maître d’école de prononcer un mot qu'ils n'ont pas encore eu l'occasion d'user, vu qu'ils n'en ont jamais entendu parler. C'est : « rebecs », « purbecs », « essebecs ». À quelque chose près.
Comme ils n'ont pas bien entendu, ils le lui font répéter. Ce qu'il s'acquitte de mauvaise grâce, parce qu'il n'aime pas répéter :
- Byctiscus betulae.
- Charançons ?
- Non. Ure-becs ou ure-bères. C'est la même famille.
- Urebecs ?
- « Becs brûlants ». Regardez celui-ci, en train de piquer votre feuille avec son rostre. Il la dessèche et la brûle. D'où son nom.
Avec minutie, ceux-ci de se pencher une fois encore, sur le feuillage en souffrance, afin d'observer la pernicieuse activité des bestioles.
Le premier à se relever, c'est Jacques. Lequel demande :
- C'est grave ?
- Bientôt, vous n'aurez plus rien.
Père et fils sont atterrés.

C'est alors qu'on le voit fourrager la terre au pied d'un échalas... À peine a-t-il déplacé deux ou trois mottes, qu'à leurs yeux ébahis, ils découvrent larves, nymphes et adultes, superficiellement enfouis sous la terre. Lesquels pullulent.
- Au bout d'un certain temps, leurs cigares tombent sur le sol, libérant les œufs, poursuit-il. Et voilà ce que cela donne.
- Qu'est-ce qu'on fait ? demande le père.
Il explique qu'il faut apporter des botterets ¹, mangeurs d'insectes.
Le fils bout :
- On fait comment quand on n'en a pas ?
- On va en chercher. Il y en a beaucoup autour de ma cabane.
Pris d'un doute, il lorgne du côté de la vigne voisine.
- Pas la peine, prévient Joseph. Il n'y en a pas.
Le Maître d'école ne répond pas, qui se dirige vers la parcelle en question. Pour s'accroupir au pied d'un paisseau. Soulever quelques mottes. Gratter le sol. Puis se relever, après examen :
- Ici, ça commence, fait-il en ouvrant une main où grouillent larves et nymphes.
Aussi leur conseille-t-il l'arrachage au plus tôt des cigares. De les brûler. Puis de prévenir le voisin. Même s'il pense que c'est déjà trop tard. Vu que deux ou trois de ces coléoptères par cep, sur près des trois-quarts d'une exploitation, aussi petite soit-elle, sont amplement suffisants pour compromettre la récolte.

Aussi, sans perdre de temps, et après avoir rameuté femme et enfants, la famille entière, s'active-t-elle à la recherche des cigares, et à les dépendre avec précaution, pour ne pas laisser tomber les œufs. Puis à les jeter dans le feu, que L'Aîné vient prestement d'allumer. Et c'est avec un plaisir non dissimulé, qu'ils entendent rissoler feuilles sèches et cigariers.
Tout en vaquant à cette occupation, Le Maître d’école de les entretenir sur la vie de ces maudits coléoptères, bien qu'il lui en coûte, car étant économe de paroles, il déteste expliquer. Ça le fatigue.
- L'insecte est diurne, les informe-t-il. Quant à sa présence, ne vous méprenez pas, elle ne date pas d’aujourd’hui. Une fois adulte, il a passé l'hiver bien au chaud, dans le sol. C'est au printemps, comme en ce moment, qu'il en sort pour manger et pondre jusqu'à une quinzaine d’œufs, qu'il introduit entre les nervures principales, qu'il mâchouille, interrompant l' arrivée de la sève. Et obligeant les lobes de la feuille à s'enrouler en cornet de dragées, en à peine une semaine. Après incubation d'une dizaine de jours, ses larves s'en extraient, qui se nourrissent de la chair même de la feuille desséchée. Pour quitter le cigare plusieurs semaines plus tard et se nymphoser dans la terre.
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1. Petits crapauds


Qu'il quitte une fois sa morphologie et sa taille acquises. Puis, elle remonte vers le feuillage, qui lui
tient lieu de garde-manger et le cycle de reprendre.
(Jamais il n'a autant parlé.)

Après avoir réduit en cendres les derniers cigares, les Sautriot, de demander à notre enseigneur, s'il ne faudrait pas ratisser la terre au pied des échalas, afin de retirer toute trace des parasites. Et de remettre de la terre nouvelle si besoin. Ce qui représente un travail considérable.
Le second de répond ni oui ni non :
- Si le cœur vous en dit. Sachez toutefois qu'il suffit d'oublier une larve ou deux pour que tout reparte. Pour l'instant filons plutôt à la recherche des botterets.


À SUIVRE

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