ROMANS

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ROMAN N°01 : "L'école dont l'instit est un cancre"

Interview lors de la sortie du second tome:

Épuisé
 

Ed.Praelego-2ème volume

ROMAN N°02 : "le Lézard dans le buffet"(Extrait)

 

 

ROMAN N°3 : "Lucile Galatte ou le temps des gauloises bleues"

Amazon - La Fnac - Épuisé

ROMAN N°04 : "Le bal des pourris"....

https://www.atramenta.net/ebooks/le-bal-des-pourris/1225

ROMAN N°05 : La Lieutenant au jupon rouge Épuisé

ROMAN N°06 : Popaul, l'enfant qui voulait aller au ciel retrouver sa mère.

 

Le Pythagore éditions www.lepythagore.com

ROMAN N°07 :Sacré Popaul !

Le Pythagore éditions
www.lepythagore.com

ROMAN N° 08 :Popaulissime !

Le Pythagore éditions
www.lepythagore.com

ROMAN N° 09 Signé Popaul

Le Pythagore éditions
http://www.lepythagore.com

ROMAN N° 10 La carte à jouer

Compte-rendu du comité de lecture

ROMAN N° 11 La chair salée a disparu

https://liralest.fr

ROMAN N° 12 Riton le facteur et son chien Marcel...en tournée.



www.lepythagore.com

ROMAN N° 13 L'or de la Barse

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À lire

ROMAN N° 14 Popaul: scout toujours prêt!

http://www.lepythagore.com

ROMAN N° 15: Dis maître...Est-ce que tu veux bien être mon père?"

En attente de publication

 

ROMAN N° 16 .Et mon coeur de battre comme un joli p'tit tambour

http://www.lepythagore.com

ROMAN N° 17 : Un amour de Popaul En attente de publication
ROMAN n° 18:: Marie des Varennes En attente de publication
ROMAN n° 19:: Le maître d'école et la fille du vent En attente de publication
ROMAN n° 20:: Popaul et le p'tit vendeuvrois. En attente de publication
ROMAN n° 21:: Un petit soulier rouge dans la neige blanche

http://liralest.fr/

ROMAN n° 22:: Qui en veut au coq du clocher? ¦À proposer à l'édition
ROMAN n° 23:: Le temps des loups À proposer à l'édition
ROMAN n° 24:: J'ai l'honneur de vous dire... que vous n'êtes pas invités à mes funérailles À proposerà l'édition
ROMAN n° 25:: Laurine

https://www.atramenta.net/

ROMAN n° 26:: L'itinéraire d'un crétin À proposer à l'édition
ROMAN n° 27:: Les becs brûlants

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ROMAN n° 28: Supporters êtes-vous là? A proposer à l'édition
ROMAN n° 29: Les niaiseux  

 

– LE CHALLENGE: PUBLICATION CHAQUE MOIS DE NOUVEAUX CHAPITRES ECRITS AU JOUR LE JOUR –

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LES NIAISEUX

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*

..................................Christian Moriat

 

 

 

 

 

5. SOUPER À LA FERME


L'homme qui est là-bas, près de la cuisinière, c'est le père. Le Victor, il s'appelle. Un autre mutique. Pire qu'elle. Puisque parler, lui, il le peut. Mais ne le veut. Et quand pays et payses autrefois s'avisaient de lui adresser la parole, il était à quia. C'est pourquoi, à présent, ils ne lui demandent plus rien. Ils ont compris. Personne, au village, n'a encore réussi à l'apprivoiser.

Casquette vissée sur la tête. Chemise carreautée, couleur moutarde et lentille. Ceinture de flanelle autour de l'abdomen. Salopette bleue de travail. Caoutchoucs aux pieds. Voilà pour le costume.

Visage buriné. Front fuyant. Nez camus. Bouche ouverte. Yeux enfoncés. Tignasse fauve. Larges mains de forain aux ongles encharbonnés. Jambes en parenthèses. Épaules larges. Plutôt de taille petite. Âge incertain. Voilà pour le physique.

Travailleur courageux et opiniâtre, il tente d'arracher à une terre ingrate, argileuse et caillouteuse à souhait, le maigre revenu qui les fait tous deux vivoter. Le tout sans engrais, ni pesticide. Et sans tracteur ni moissonneuse-batteuse, engins par lui jugé onéreux, inutiles et bruyants. Donc, sataniques.

De toute façon, ce n'est pas pour le peu de terre qu'il a à remuer, qu'il serait à même de le rentabiliser, son matériel.
Ce qui ne signifie pas que le Victor soit écologiste. Non pas. Il est rétrograde. Autrement dit, d'une extrême méfiance vis-à-vis de la modernité. Ne faisant finalement qu'emboîter le pas à ses aïeux, lesquels ont toujours travaillé comme cela. C'est-à-dire beaucoup, avec un matériel a minima. Seul, Le Gris, un vieux cheval de réforme, l'aide pour les gros travaux.
Quant aux quelques bêtes possédées, celles-ci lui procurent le lait, les œufs et la laine nécessaires à leur subsistance.

C'est la raison pour laquelle Léonie, livrée à elle-même, passe les trois-quarts de son temps seule, à la maison. Toujours en attente du retour du maître.
Voilà pour les activités d'un bonhomme, qui s'abrutit au labeur. Une façon à lui d'oublier la perte de son épouse partie pour le cimetière.

C'est l'heure du souper.
Le père prend le grand fait-tout en aluminium, le pose sur le dessous de plat, au milieu de la table. À l'endroit où la suspension à contrepoids en céramique dessine une tache de lumière sur la table.
Elle apprécie l'abat-jour blanc en verre opaline avec des stries. Elles lui rappellent "sa pierre de lune". Et la paume de sa main.
C'est comme ça. Il n'y a pas de rapport.
Simplette.

Après, il apporte deux grosses cuillères en bois et deux timbales. À la première, il y verse de l'eau – pas trop pour que la petite ne fasse pas dans son lit. À la seconde, la sienne, il y met du vin.
Avec une louche, il remplit leurs deux assiettes de soupe. Soulève le couvercle de la huche. En extrait une miche de pain, qu'il coince entre coude et poitrine. Coupe des chanteaux avec son opinel. Noie une rasade de pive dans son souper. Pour faire chabrot. Puis s'assied.

C'est le signal pour l'enfant. Prestement, elle emmaillote sa coquille pierreuse. L'enferme dans son coffret de fer blanc. Glisse le tout dans son tablier, se lève et passe à table.
Puis, père et fille de laper la panade où nagent quelque croûte de pain qui sous l'effet du liquide, se décompose. En prenant des formes insolites, qu'elle a le don d’interpréter. Ça l'amuse.
Nigaude.

Une bûche de s'effondrer dans l'âtre, soulevant une gerbe d'étincelles. Il règne un épais silence de brouet. Lors que se frôlent des regards, qui jamais ne se touchent. Sillons d'un champ après labour, sont leurs yeux d'un parallélisme confondant. Comme noyés dans un brouillard d'automne. Chacun menant sa vie pour soi. À l'insu de l'autre. L'homme, autant économe de regards que de caresses. La fillette, autant sobre en actes qu'en questionnements.

Pourtant, elle affectionne ce moment. Quand la lumière qui réunit, vient lécher le chêne de la table. Pour y déposer un rond, en guise de baiser. C'est mieux que son coin d'ombre informe. Et sa couverture de laine mitée.
Tournent les mouches autour de la lampe. L'haleine de la nuit s'accroche aux carreaux que l'averse fait chanter. On entend les cris longs du vent dans les peupliers. Le Victor a oublié de fermer les volets.

Entre deux cuillerées, de ses doigts, la fillette sculpte des animaux fantastiques à l'argile de mie. Histoire de s'occuper. À la fin du repas et autour de son gobelet, elle en aura tout un troupeau. Troupeau qui bientôt finira dans la pâtée du cochon-sans nom. Elle en a peur, qui, de lui, se méfie. Tant après elle, il est grognon.

Suinte la comtoise au goutte-à-goutte feutré de ses tic-tac. Pérore la bavarde 1, sur la cuisinière. Ce qu'en écho lui répond le robinet, en laissant fuiter ses perles d'eau, qui tombent et rebondissent dans la cuvette qui les recueille. À eux trois d' écorcher les silences, que les hôtes de ces lieux blessent de leur lapement. Chaque chose s'exprime comme elle peut. Avec des mots qui leur est propre. Ceux du temps. Ceux de l'eau. Ceux de la soupe. Le silence n'existe pas au trouble des bruits, qui toujours réussissent à le cribler. Fors l'humaine parole.

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1. Bouilloire (fam.) Lors de l'ébullition de l'eau, la bouilloire fait du bruit. On dit qu'elle siffle ou qu'elle bavarde, lorsqu'on la laisse longtemps "sur le feu".

 

 

6. RADIO-LAVOIR

 

Sur le mur d'en face, le portrait des mariés préside au souper. Une photo, tout en sépia. Il y a le père de Léonie, sans caquette ni salopette. Avec ses grands yeux étonnés et sa bouche orpheline d'une canine. Et qui bée. Comme s'il voulait dire quelque chose qui ne sort pas.
Si la photo avait été en pied, il aurait été permis de le supposer en caoutchouc.
À ses côtés, il y a la Geneviève, sa mère. Non pas en tenue blanche de mariée. Mais en civil.
Elle n'est pas vilaine avec son petit bouquet qu'elle tient à deux mains, comme s'il allait s'envoler. Malgré son angiome sur la joue. Malgré son air de se demander ce qu'elle fait là. Aux bras de l' étranger que le destin l'oblige à accepter. Elle ne l'aime pas. Cela se voit. Ce qui l'empêche de sourire. Elle, grande et maigre. Lui, petit et gros. Elle, triste. Lui, satisfait. Mais qui l'aime.
Il y a des mauvaises langues qui ont raconté qu'elle était trop bien pour lui. Et que ce n'était pas elle qu'il avait épousée, mais sa ferme. Une ferme contre une tache lie de vin, cela ne fait pas le compte - après tout, à la campagne on s'arrange comme on peut.
- Mais foin des ragots. Ce qu'elles refusent de reconnaître ces professionnelles du battoir, c'est qu'il l'adore. Et pour de vrai.
Radio-lavoir.

Quant à elle, par contre, sa bourgeoise, on prétend que c'était pour se caser. À cause de la brioche qu'elle avait dans le four. Et qui n'était pas de lui. Un mariage de raison, en quelque sorte. Et au terme duquel aucun des deux n’aurait été perdants. Finalement...
Radio-trottoir.

Sa mère, l'enfant ne la connaît pas. Ne l'a jamais connue. Et ne la connaîtra jamais. D'elle, ce qu'elle sait, c'est sa tombe au cimetière. Puisque c'est elle qui l'a fait mourir, en poussant son premier cri. C'est ce que bavassent les gens, tout bas, pour ne pas que la petite entende.
Radio-cancans.

À quoi bon les messes basses. À quoi bon se gêner. De toute façon, la gosse ne comprendrait pas.
Mais elle n'est pas sourde, qui saisit ce qu'à mi-mots commères profèrent.

Cette histoire la tourmente, pourtant. De qui est-elle la fille au juste ? Puis, comment a-t-elle fait son compte, la pauvre Léonie, pour avoir provoqué sa mort ? Elle, un nourrisson, si petit, si chétif ? Elle, sa maman, si belle et si grande !

S'il suffit d'un cri – "le premier" qu'elle a poussé en venant au monde –, qu'est-ce que cela aurait été si elle en avait poussé "un deuxième"...?
De la voix, il faut se méfier. Elle peut tuer. La preuve en est : un cri s'allume, une vie s'éteint.
L'histoire est peu banale. D'autant plus que la petite ne s'en souvient plus. En tout cas, ce qu'elle sait, c'est qu'elle ne l'a pas fait exprès. Sinon, elle aurait mis sa main devant sa bouche.

C'est ce qu'elle aurait voulu confier au Victor, qui ne s'en est jamais remis. Sa femme, c'est peu de dire qu'il l'aimait. Il l’idolâtrait. Même qu'il va presque tous les soirs au cimetière. Et lui qui ne cause à personne, même pas à sa fille, à elle, il lui parle. Elle le sait. Parce que, un jour où elle l'avait suivi en tapinois, elle l'avait entendu lui dire des choses si belles, si admirables et si nobles qu'elle en avait été fortement troublée. À telle enseigne qu'elle aurait pu croire que c'était un autre qui s'entretenait avec elle. Mais non. C'était bien le Victor qu'elle entendait.

C'est pour cela qu'il lui en veut. Non pas à celle qui est partie. Mais à celle qui est restée.
Et ce qu'elle avait fait, il ne le lui a jamais pardonné. Il ne le reproche pas ouvertement. Naturellement. Elle le sent cependant. Et le sentiment de culpabilité qu'encore aujourd'hui elle éprouve, ne contribue pas à son épanouissement. Au contraire, il l'enfonce.
Mutilé de l'amour, il est. Amputée de l’innocence, elle est.

Peut-être qu'il aurait préféré le contraire. La mort de l'enfant contre la vie de l'adulte. Cela se pense, mais ne se dit pas. Ça porte malheur. Et des malheurs, il en a suffisamment comme cela. Ce n'est pas la peine d'en rajouter.
Puis des gosses, il lui en aurait fait d'autres. Et des plus réussis. Même s'il y en a qui disent que la petite tient de lui. Et que s'il en avait eu d'autres, ils auraient tous été ratés.
Radio-ragot.

Cependant, l'accusation pèse à la petite. Vu que depuis, il n'a plus jamais parlé. Ni à elle. Ni aux autres – ses mots, il les garde pour la Geneviève ; elle seule en a la primeur. Ce qui n'est pas juste pour les gens du pays. Vu qu'ils n'y sont pour rien. Elle, passe encore. Puisque c'est elle qui l'a tuée. Mais cela lui a porté malchance. Dans quel état elle est, la pauvrette.
Bien fait pour elle.
Radio-marché.

Même que le Victor ne la regarde jamais droit dans les yeux. Comme si sa vue lui offensait la rétine. Sauf quand il la débarbouille dehors, le matin, hiver comme été, à la fontaine d'eau fraîche. Ou quand il l'aide à s'habiller. Vu qu'elle a du mal. Surtout pour enfiler sa chemise, son chandail ou son manteau. Puis son cache-nez aussi. À cause du nœud. Par contre, pour sa jupe, pas besoin. Elle y arrive toute seule. Elle est grande, maintenant.
Innocente.

Un jour – il fallait bien s'y attendre – elle a surpris une conversation où, dans les triolos 1, il était question du Victor qui ne serait pas son père.

Curieux ! Fatalement, elle doit bien être la fille de quelqu’un ! Mais de qui ?
Encore un sujet qui la préoccupe. Question toujours amenant réponse. À condition de la lui apporter. Mais comme de preuves, on ne lui en donne pas, mystère elle a gardé.
Réflexion faite, si cela l'a troublée il y a peu, cela ne la dérange plus. Peu lui importe après tout, d'être la fille d'un autre. Il y en a tellement qui ont le malheur d'être des filles de personne. Pour le moins, le Victor, il l'a reconnue. Ça lui suffit. Ce qui n'était pas écrit d'avance. Surtout après qu'elle ait fait mourir Sa Geneviève.

Toujours est-il qu'on ne peut pas l'accuser de ne point s'occuper d'elle. Ce qui prouve bien que c'est sa petite à lui. Si elle ne l'était pas, il l'aurait abandonnée.
Il aurait pu, par exemple, la noyer comme on fait avec les petits chats dont on refuse la portée. Ou bien l'emmener loin, loin, loin. Très loin. Pour la perdre au fond des bois. Comme les
parents du Petit Poucet. Lequel, pour retrouver sa maison, avait dû émietter des morceaux de pain tout le long du chemin du retour. Un peu comme ceux qui flottent en ce moment, dans sa soupe. Puis, comme les oiseaux avaient tout mangé, il avait dû semer des cailloux. Ce qui, pour elle, n'aurait pas eu de fâcheuses conséquences, vu que des cailloux, elle en a déjà un dans sa poche. C'est déjà ça. D'autant plus que venant de la lune, il a des pouvoirs que la Terre n'a pas.
Mystère.

(N'en déplaise aux médisants qui se trompent.)

Peut-être aussi qu'elle aura mal compris. Tout est possible. Et qu'ils parlaient d'une autre, qui
n'est peut-être pas du pays. Allez savoir. Il y en a tant qui n'ont pas de père. Ou pas de mère. Des amputés, manchots et manchotes en quelque sorte. Quant à ceux qui n'ont ni l'un ni l'autre, ce sont des culs-de-jatte.
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1. Caisse en bois permettant à la lavandière de se tenir agenouillée, au bord du lavoir, sans mouiller sa robe. Appelée aussi carrosse, auget, cabasson, baillot, caboulot, garde-genou, selon les provinces.

Léonie au moins, il faut qu'elle s'estime heureuse. De père, elle en a un. C'est déjà ça. Aussi tient-elle à le garder toujours. Qu'elle ne s'avise surtout pas de faire comme avec sa mère. Elle qui tue tout ce qu'elle côtoie.
C'est pourquoi avec lui, elle s'abstient de crier fort. Et quand elle le fait, elle se contrôle.

 


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